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De Rapture à Columbia, variables et constantes d’une même utopie

25/01/2014 Commentaires fermés

ATTENTION : les réflexions qui suivent contiennent des spoilers !

Sacrilège ultime

J’avais partout lu dans la presse, que Bioshock Infinite est doté d’un scénario à la qualité indépassée, que c’est un jeu d’un niveau qui va au-delà, qu’il donne ses lettres de noblesse au genre, le tout suivant une réalisation majeure dans toute l’histoire du jeu vidéo.

Tandis que moi, bah je suis un incorrigible bourrin.

Ma petite sœur m’ayant offert Bioshock Infinite pour Noël, j’ai pu y jouer d’une façon tout d’abord classique pour moi, c’est à dire, en mode difficile, en qualité graphique assez basse, et ce… jusqu’à ce que je sois confronté à un petit problème. Mais avant, je m’explique.

J’ai d’abord considéré cette expérience comme un jeu de tir en vue subjective, et, dans ce domaine, reconnaissons qu’il se présente de prime abord très bien quand même, le moteur du jeu (Unreal Engine) y étant pour quelque chose  ; on a même là un très bon jeu, avec une patte graphique excellente  ; mais au sujet du fait de pouvoir concrètement tirer en vue subjective… il faut traverser une présentation globale du monde et du contexte qui est assez longue à mettre en place (arrivée en barque, montée en haut du phare, décollage, arrivée, baptême obligatoire, traversée des premiers quartiers de Columbia, traverser le marché, et participer à la tombola) . Par conséquent, j’ai comme rattrapé le temps perdu en me focalisant sur le combat à proprement parler, dès qu’il a été possible.

Et, concentré sur ma survie ( car on meurt assez vite en mode difficile ), puis, sur la collecte des armes, de l’argent pour les acheter, des pouvoirs spéciaux, des recharges de santé, je me suis vu progresser dans les lieux en passant d’une scène d’action à une autre ; et je dois dire que – sacrilège ultime – j’ai commencé par jouer à Bioshock Infinite en me focalisant plus sur l’action, que sur l’intégration du scénario.

Columbia

J’ai découvert la ville de Columbia, et plus tard, le système de déplacement par rails aériens très sympa, que j’avais pu voir à l’œuvre dans le trailer du jeu à sa sortie. Et j’ai tenté de prendre ce jeu pour ce qu’il m’offrait dans le trailer : une partie de tir dans un environnement aérien, parfois accroché à des rails similaires à des sortes de montagnes russes. Quant aux combats au sol, ils sont « classiques », on tire à la lunette, on sulfate à bout portant, on se met à couvert, plus original, on incinère sur place, on électrifie ou carrément, on fige les ennemis deux secondes, et plus jouissif : on les défonce au corps à corps, avec un grappin rotatif, suivant une fantaisie digne d’un Mortal Kombat… voilà donc, ce qui m’a préoccupé majoritairement je dois dire.

J’ai certes noté l’ambiance de propagande sectaire et totalitaire, assez récurrente dans les Bioshocks, qui m’a semblé plus que remarquable, mais, en tant que bourrin, j’apprends volontiers une histoire d’avantage à travers l’action et moins en consultant les petits cinémas de rues, ou les des journaux audio personnels, les Voxophones. Donc j’avoue, comme j’ai vu que le héros parlait et que les personnages s’adressaient à moi pendant les scènes scriptées, j’ai pensé que cela suffirait, et j’ai laissé de côté la vision des cinémas de rue, et l’écoute des Voxophones, pour repartir plus rapidement dans la perspective d’une nouvelle baston.

Les Voxophones (enregistrements audio)

En terme de pur FPS, le jeu offre un gout de déjà joué, car les armes sont assez conventionnelles (pistolet, fusil mitrailleur, lance grenade, etc…), et la découverte des toniques, « pouvoirs spéciaux » qui est proposé lors de l’absorption de fioles, est vraiment très similaire à celle qui  était déjà proposée dans la précédente version du jeu ( cf : les plasmides qu’on trouve dans Rapture).

Quelque chose qui cloche

Bioshock Infinite est un super jeu, mais globalement, il cloche précisément sur la cohésion globale entre son background scénaristique d’un côté qui suppose beaucoup de variété, et les moyens réels, très limités ou répétitifs, mis en œuvre pour l’illustrer via l’Unreal Engine.

Je m’explique.

A un moment donné, j’ai commencé à trouver le jeu de tir bien sympa, mais, quelque part, sous-développé, par rapport à l’énergie et l’inventivité qui avait été mise dans le reste, tout autour, dans la réalisation, dans la narration, dans les détails des décors. Et par exemple, quand on voit comment les dialogues, l’histoire entre le héros et la fille, et le level design ont été travaillés, on déplore un peu que, le comportement général et la capacité de résistance de beaucoup d’ennemis, soit assez « similaire », dans l’ensemble. On trouve que ces ennemis ne sont pas assez spécifiquement décrits, et typés, dans la tactique qu’ils adoptent et dans le style avec lequel ils meurent. Et d’ailleurs, vu qu’ils sont un peu trop similaires, disposer d’un arsenal très  varié et évolutif perd de son sens. De ce fait, on est presque incités à ne se servir d’une ou deux méthodes, soit, d’une ou deux armes, par exemple. Donc, le petit problème n’est pas tant que les armes et les pouvoirs ne sont pas assez variés : ils sont variés ; mais c’est qu’on n’est pas obligés de se servir de cette variété. Et ça m’a posé question, cette façon de donner le choix des armes parmi un vrai catalogue, pour se dire que : peu importe tout le choix, vu les ennemis qu’on a en face, deux armes et deux pouvoirs font l’affaire.

En plus, pour vraiment nous aider à comprendre que tout ce catalogue d’armes n’est pas forcément nécessaire, la capacité d’en emporter est volontairement limitée à deux. Alors résultat, le joueur que je suis ne garde que les armes les plus « polyvalentes », pour être paré à toutes les éventualités. Mais somme toute, ça implique d’utiliser des méthodes de combats de moins en moins variées et de plus en plus routinières.

C’est quand même assez absurde d’avoir mis en place, dans un monde présenté comme ouvert à une infinité d’alternatives, un système qui implicitement pousse le joueur à réduire ses options.

Ensuite, une fois tués, et parfois d’une façon ultra-violente, les corps des ennemis disparaissent du tableau. (Et là on ne peut s’empêcher de sortir un gros « WTF !? » ). C’est à dire que leur cadavre s’évapore. On n’a plus rien, même pas une flaque de sang. Le plus absurde, c’est que le plus gourmand en ressources n’est pas d’afficher des macchabées qui restent statiques au sol. C’est le fait d’animer les ennemis, qui est gourmand. Et d’ailleurs, ce n’est pas après le gunfight qu’il faut optimiser la vitesse d’affichage, mais pendant le gunfight. Faire disparaître ultérieurement des corps inertes, est donc une optimisation débile, absurde. La disparition quasi injustifiée des cadavres par défaut donne le sentiment que le résultat du gunfight est effacé, bref, que la mort n’a pas été donnée.

Et, pour tout dire, quand on commence un jeu de tir, on rencontre toujours au départ, des ennemis très cons, qui, binaires dans leur mentalité, souvent, soit ne bougent pas, soit gueulent ou braillent subitement en vous fonçant dessus, en crevant facilement. En effet, le dosage progressif de la jouabilité oblige un concepteur de jeu à proposer des « premiers obstacles faciles à franchir ». Donc : tirer sur des cibles assez stupides, qui se mettent à peine à couvert, qui bougent peu, n’emploient aucune tactique de groupe… Puis ensuite, tirer sur un ennemi de plus en plus difficile à crever, mais aussi, plus organisé, plus prudent, mobile, bref, de moins en moins con.

Et là, bien qu’on avance franchement dans Bioshock Infinite : on y affronte un ennemi, qui ne transcende pas franchement  son quotient intellectuel de départ. Il est, c’est vrai, de plus en plus résistant aux balles, et capable de se mettre à couvert une fois sur deux, mais, inéluctablement, il reste globalement toujours aussi con.

le Handyman, très fort, et quand même  : très con.

On pourrait se dire : « c’est parce que les programmeurs ne savent pas donner à leurs personnages une bonne IA !« . Sauf que, pendant quasiment toute la durée du jeu, la jeune fille qui vous accompagne, est dotée d’une intelligence artificielle si adaptée au contexte, si polyvalente, si finement ajustée, et d’un « réalisme » dans son jeu si poussé, si développé, que la stupidité tenace des ennemis qui vous font face n’en ressort que plus nettement.

Elizabeth, votre compagne de jeu dotée d’une bonne IA

Alors je me suis demandé, ce que ça voulait dire, de développer l’intelligence artificielle d’un compagnon de route, si c’est pour de toutes façons avoir à affronter des ennemis aussi cons.

Mais ce n’est pas tout, dans ce registre. Pour parachever ce sentiment de tuer « en vain » des ennemis, le scénario m’offre en métaphore ultime, cette scène de combat surréaliste, contre un fantôme (…la sirène, qui émet un cri strident) aussi inexplicablement énervé que solide, qui a la capacité assez formidable, de réveiller les macchabées que je me suis évertué à crever, et inlassablement, de les re-réveiller. D’ailleurs, entre parenthèse, il ne fait aucun doute que ces fantômes sont bien ceux des habitants de Columbia, puisque, de la vie à la mort et même par delà la mort, ils sont invariablement tous aussi cons qu’ils soient vivants ou morts.

Ni vivant ni mort

Prenons maintenant, les quêtes. Normalement, dans  un jeu standard, les quêtes sont marquées par une progression pavée d’embuches et d’épreuves, où l’épreuve finale enfin surmontée vous apporte avec fierté un bonus, un powerup, une récompense.

Alors niveau périple, Bioshock vous en propose un de beau. Par exemple la mission située dans la zone des usines Fink où il vous faut trouver des armes pour les rebelles de la Vox Populi.  La récompense pour ces armes ? Un véhicule aérien. Bon. Le fait est qu’on doit se battre, et crever un paquet de gens, pour aller les chercher, ces armes. Alors on part, on cherche, ça prend du temps, on tourne en rond, et alors, à un moment, alors que vous les cherchez, pendant votre mission, soudain, rien qu’en ouvrant deux failles dimensionnelles à l’aveuglette totale, vous vous retrouvez tranquillement, dans une « nouvelle réalité »‘, où la Vox Populi a « déjà » ses armes… dans une réalité où elle n’a visiblement pas eu besoin de vous pour les trouver, et donc où vous n’aurez aucune récompense, même pas, un powerup de compensation.

D’ailleurs, on peut légitimement se demander, à « quoi bon se fatiguer à combattre », à tuer des vagues d’ennemis, pour atteindre un véhicule aérien planqué à l’autre bout de Columbia, puisqu’il suffit d’ouvrir deux, allez, trois failles bien senties, au pif, pour tomber sur une réalité alternative où, ce même véhicule aérien est tranquillement installé juste de l’autre côté du trottoir d’en face. Franchement les héros auraient du essayer. On aurait gagné du temps.

Alors oui, j’aime bien la baston, contre des personnages hostiles, vivants, morts, ou les deux à la fois, mais bon, aussi, j’aime évoluer dans des environnements hostiles. C’est à dire : interactifs, comportant des dangers, ou des pièges. Des hélices géantes dirigeant la cité dans les airs, et qui aspirent et moulinent tout ce qui s’en approche de trop près. L’exemple de cette réflexion sur les dangers d’une cité dans les airs est donnée dans le second épisode de la Guerre des Etoiles (Star Wars), où le héros est confronté à l’aspiration dans un puits géant, à un système d’évacuation des déchets et à une potentielle chute fatale dans le vide. Et on peut dire qu’après avoir vu quelques trailers initialement pondus lors des étapes préliminaires du développement du jeu, j’avais un peu l’espoir, de voir des environnement exposant souvent le joueur au moins au risque de « chuter », justement, pendant le déplacement. La peur du vide, quoi, merde (!), on est à des kilomètres de la surface du sol (!).

Que se passe-t-il quand vous sautez par dessus un rambarde dans le vide ? Simple : vous chutez 1 mètre et demie, et « bam » vous réapparaissez magiquement derrière la rambarde. On n’a pas peur de chuter parce que le jeu n’a pas prévu de nous faire vivre une fin bien flippante. C’est d’ailleurs la première chose que j’ai faite à Columbia : c’est prendre un peu d’élan et sauter dans le vide pour voir comment la chute est réalisée. Bah elle est zappée. C’est presque : scandaleux.

Alors, avant de jouer à Bioshock Infinite et sur la base des trailers, j’aurais misé ma chemise, sur l’idée que le jeu m’offrirait des scènes où par exemple, le héros doit combattre sur un terrain instable avec des trous, ou alors, bloqué par des obstacles et éboulis dans un bâtiment doit passer par la fenêtre et en l’absence de rails, puis se livrer à un exercice stressant mais passionnant d’alpiniste agrippé de façon désespérée à une aspérité, le long de murs et de bâtiment délabrés par la guerre contre la Vox Populi. Mais non : cette scène n’existe pas. Columbia est située à des kilomètres au dessus du sol, le héros ne risque que très rarement de tomber, et les seules deux chutes qu’on y expérimente (celle produite par Songbird, l’autre produite par un Handyman) : sont excellemment bien réalisées, mais elles sont rares, 100% scriptées, et surtout, elles ne conduisant pas à la mort du héros.

Cet environnement joli, propret, stable, et fonctionnel qu’est Columbia, ne déconne presque jamais de lui-même ; on n’a jamais ce sentiment d’être dépendant de technologies de suspension quantiques qui, à la suite d’un combat pétaradant, fonctionnent mal : on n’a pas de trottoirs qui s’écroulent parce que des « suspensions quantiques » tombent en panne ; on n’a pas de bâtiments qui chutent comme des pierres, à cause d’une gravité altérée, ou des zones où la gravité est si basse qu’on y est en apesanteur. L’Unreal Engine est pourtant parfaitement capable de gérer un roulis visuel. Le tonique d’apesanteur prouve que le moteur pourrait parfaitement produire des phénomènes physiques de perturbation de la gravité. Et avec tout ce potentiel, on n’a jamais assez le « mal de l’air ». On n’a pas des sols qui « tanguent sur l’axe horizontal « . Le grand huit des rails aérien, est simpa, mais il ne produit même pas ce sentiment troublant d’être agrippé à un support fragile qui risque de vous lâcher. Pourquoi, parce que vous vous déplacez sur les rails de façon trop sécurisée, vous ne pouvez pas par exemple sauter « dans le vide », vous ne pouvez quitter le rail sans avoir une surface valide où sauter.

Puisqu’on parle de gestion physique de l’environnement : vous découvrez Columbia après un décollage de fusée et une ascension vertigineuse à plus de 15.000 pieds, probablement 20.000, au terme de laquelle vous ne pouvez vous empêcher de vous dire, non pas Alleluia, mais : (1) on va se les geler et (2) on va manquer d’oxygène. Ces deux caractéristiques élémentaires ne sont absolument pas gérées ni intégrées dans le jeu. Les citoyens se prosternent dans des cours d’eau  dont la température devrait varier dans la journée au maximum entre -20 et -40 degrés, les passants se baladent en tenues printanières voire en slip de bains sur une « plage artificielle », avec un taux d’humidité pareille, on n’a pas un fil de vapeur qui sort de leur bouche, malgré la fraîcheur de la température ambiante. Pire, lorsqu’on utilise certains rails aériens, en passant sous la ville ou entre les grands blocs de bâtiments, on devrait systématiquement geler. Aucune explication n’est donnée quant à ces températures ambiantes. Idem pour l’oxygène, raréfié au possible à de telles altitudes. Il est tout bonnement incroyable que le héros tout comme les ennemis se livrent à ces parties de chasse réciproques effrénées, sans suffoquer un minimum tous les dix pas. Il aurait été intéressant de faire que le héros commence le jeu avec un handicap notable, au niveau de sa capacité à courir sur de longues distances, – quitte ensuite à lui faire ingérer des fioles spéciales diminuant cette limite, ou quitte à lui donner une sorte de petit module respiratoire – histoire de respecter un quart du réalisme nécessaire en la circonstance.

En slip de bains à plus de 15.000 pieds et rien ne vous choque ?

En fait, pour résumer, en vous catapultant à 15.000 pieds au dessus des nuages, jusque dans la cité aérienne de Columbia, vous vous sentez exactement comme sur le plancher des vaches.

Alors en plus, le scénario offre la perspective de vivre une véritable guerre civile sur Columbia. En disant ça on imagine tout de suite : que la guerre va laisser des cadavres ici où là, et aussi, s’exprimer au niveau du moteur de jeu, par des « environnement destructibles, dynamiquement ». Et là, c’est le drame. Car Bioshock Infinite, comme on l’a vu, c’est une ville qui auto-nettoie ses macchabées par l’opération du saint esprit. Et donc où les morts disparaissent des rues qui redeviennent propres en quelques secondes hallucinantes. Columbia dispose d’ailleurs d’un mobilier ultra – résistant. Par exemple, on ne parvient même pas, à bruler un meuble en bois avec le tonique d’incinération. Ou par exemple, impossible de faire un trou dans un bureau, qui ne disparaisse pas après deux secondes d’attente. Suite à ça, je me suis dit, « Columbia, c’est une ville idéale pour des touristes. En effet, il serait marrant de leur demander de ne pas trop dégrader le décorum ». Moralité : la disparition et des morts, et des dégâts sur les objets statiques, vous donne concrètement le sentiment de vous battre en vain.

Une remarque à faire quant à la façon dont le game-play reprend et visuellement et structurellement un élément scientifique issu du scénario. Si dans Rapture, les progrès scientifiques étaient d’ordre génétique d’où découlent la nature des ennemis (déments et difformes), c’est vrai que, dans Columbia, les progrès scientifiques sont de nature quantique et le scénario évoque des inventions majeures dans le domaine des réalités alternatives. Et dans Rapture, il y a une continuité logique forte, entre les dérapages de la génétique, et les pouvoirs spéciaux qui y sont développés, à partir de l’absorption de sérums spéciaux, les plasmides, ce qui a même donné son nom au jeu : bio-shock.

Et c’est en prenant conscience qu’au fond, les failles sont vraiment l’apport majeur d’Infinite à la franchise, que je me suis rendu compte que les « pouvoirs » des toniques, étaient juste… à côté de la plaque. Parce que les toniques sont franchement des substances similaires à des sérums biogénétiques. Alors d’une part la génétique : ce n’est pas la spécialité de Rosalind Lutece. Sa spécialité, c’est la physique quantique. Et, toute la biogénétique, qui altère et déstabilise les gènes dans les cellules des utilisateurs de toniques : n’a rien à faire à Columbia dans ce contexte. Les habitants de Rapture, obsédés par leur amélioration individuelle en tant qu’êtres, se sont adonnés sans limite à la mutation génétique, et on comprend que Fontaine ait trouvé là un marché juteux dans leur commercialisation. Mais pourquoi les habitants de Columbia se passionneraient-ils pour un équivalent des plasmides ? On a bien compris, que Fink n’est qu’un homme d’affaires sans scrupules à l’instar de Fontaine. Qu’il a peut-être pu certes aller visiter Rapture via une faille, et y pomper quelques échantillons de plasmides, puis revenir, faire du reverse engeenering et commercialiser des répliques sur Columbia…, mais au fond, l’offre est fonction aussi de la demande. Et le marché des consommateurs de Columbia n’a absolument pas l’obsession de son « évolution » individuelle.

Il aurait mieux valu qu’à la place des pouvoirs quasi copié collés aux plasmides, on ait, par exemple, un périphérique expérimental portatif, dotés de petites bobines de Tesla qui envoient des petits éclairs, et qui balance vers l’avant des puissantes décharges quantiques. Et ce périphérique aurait pu accueillir des circuits old school modulant les décharges quantiques et produisant des effets un peu différents. On aurait pu avoir des modules du style : vous rencontrez un Handyman, vous lui tirez dessus, et il devient par exemple flouté, grisé, incapable de blesser qui que ce soit, pendant un temps défini, car mis dans état hypothétique où se superposent son être et son non-être. Autre module la décharge qui « permute » un ennemi donné en une « alternative » inattendue. Alors, pour le meilleur ou pour le pire, c’est à dire qu’un patriote peut être remplacé par du menu fretin, ou inversement, un ennemi faible est remplacé par un patriote.  Ou alors, un module qui peut permuter un objet du décor par un autre objet « alternatif ». Une pièce est remplacée par un sandwitch, ou inversement. Ou un module qui permet par exemple, de créer une faille temporaire vers une réalité alternative identique, où la balance des forces et faiblesses est altérée, où vos ennemis ont des caractéristiques offensives ou défensives bien différentes, par exemple, les Handymen sont plus faibles, et les patriotes sont plus résistants…. Enfin, pourquoi pas une décharge qui vous mène vers un état superposé, où vous mêmes, êtes temporairement floutés sans pouvoir ni être tué mais sans pouvoir non plus tirer : un état mixte où vous pouvez vous échapper d’une situation complètement merdique. Enfin vous voyez, le scénario donnait matière à développer quelque chose de très spécifique, dans le game-play.

Et malheureusement, je n’ai pas trouvé ces armes à décharge quantique à Columbia… A la place, j’ai des mini zones « activables » ou « désactivables »… composées de drones, de murets, de crochets, et de fioles de santé… bah voilà voilà, c’est tout ce que l’infini de Bioshock Infinite vous offre. Je trouve, franchement qu’il n’y a pas une énorme intrication, entre le fond du scénario qui nous plonge dans le parallélisme infini des réalités alternatives d’un côté, et la façon dont concrètement a été utilisé le moteur du jeu de tir, pour illustrer ces concepts…

Pour résumer, on se retrouve à jouer à un jeu, qui dispose d’un apport scénaristique majeur, lequel, nous permet de jouer d’une façon quasi identique au jeu d’avant.

Vu que le jeu de tir est super joli, mais d’une part, linéaire (donc incohérent par rapport au cadre scientifique qu’il met en avant), et d’autre part, sans incidence sur la trame de l’histoire (peu importe le comportement du héros, l’histoire est la même), on peut légitimement se poser la question d’ailleurs, du sens du jeu de tir lui-même, dans Bioshock Infinite. Est-ce que le jeu de tir, en soi, est finalement le principal sujet de Bioshock Infinite ? Probablement non. On va dire que c’est plutôt, une aventure, une histoire, qui est racontée, et que, le jeu de tir, là dedans, dans le meilleur des cas, sert plus à « illustrer » un message qu’à « jouer » stricto sensu. Et dans le pire des cas, il sert juste à allonger artificiellement l’expérience de jeu. Si le jeu de tir n’est pas le principal objet de Bioshock Infinite, mais bien le récit d’une histoire entre le héros et la fille, par exemple, alors là oui, Bioshock Infinite en terme de « jeu d’aventures à la première personne », fonctionne. Parce que le jeu de tir à ce moment là, n’est qu’un élément de cette histoire humaine et de ce message. Mais même en suivant dans cette hypothèse radicale qui veut que le jeu de tir « illustre » le message des auteurs, il faut admettre que se taper pendant des heures une progression systématiquement bloquée par le même schéma de gunfight, est une portion d’aventure dont honnêtement, on aurait pu se dispenser. Parce que si le but c’est de regarder un film, mystérieux, et de progresser dans une histoire, alors les phases de baston qui surgissent, forment plus une « gêne », ou un « ralentissement », de la progression de ladite l’histoire. En plus, on ne comprend pas le rapport entre le gunfight et les mystérieux rouages du scénario qui demandent toute notre attention. (Car on parle de Mécanique Quantique, avec ses théories connexes ultra  complexes, un truc qu’Einstein himself, a eu du mal à gober).

Moralité on fait passer le joueur de la pratique du « tir au con », à la théorie d’Everett : c’est le grand écart. 

Bioshock Infinite ne vous offrant pas facilement les clés de son univers « sur le coup », vous obtenez une certaine satisfaction, en progressant dans l’histoire, et en obtenant certaines clés, qui vous amènent à formuler des hypothèses « plausibles » pour ensuite, les déconstruire et les reconstruire en un tableau beaucoup plus vaste et cohérent, à coup d’écoutes des fameux Voxophones sans lesquels : on peut passer à côté du scénario et n’y plus rien piger. Et si l’on support les faiblesses du jeu pré-citées, c’est bien parce que la cristallisation qui s’opère lors de dévoilements scénaristiques, est très réussie.

Vous voyez, j’ai joué le jeu, mais…  avec l’impression que quelque chose cloche, dans la logique globale, entre l’intention d’un côté, les moyens de l’autre, et le résultat final au bout du compte. Je me posais comme vous le voyez, tout un tas de questions, sur, le vaste choix des armes qu’on utilise pas, sur ce jeu de tir à la progression rétroactivement faussée, sur cet environnement aérien qui ne donne jamais le vertige, sur ce que fiche un fantôme là-dedans, sur ses morts qui, une fois tués, sont nettoyés du décorum, et réapparaissent au coin d’une nouvelle rue, sur un apport théorique qui n’apporte presque rien en pratique dans le « jeu de tir », sur tout ce qui cloche dans cette expérience vidéo-ludique ultime.

J’aurais pu en rester là, quand un petit problème est arrivé (bien fait pour moi certains diront!), disais-je initialement. C’est arrivé,  à peu près, aux trois quarts du jeu, où j’ai eu le sentiment que, somme toute, Bioshock Infinite, était une espèce de blague. Mais attention, je pense à une blague : de théoricien, une blague de philosophe, une blague de physicien. D’ailleurs, j’avais eu un pressentiment là dessus, lors du tout premier « mini jeu » auquel j’ai eu à jouer  dans Bioshock Infinite. Vous savez, là, le mini jeu de hasard.

Le jeu de pile ou face. Qui ressemble à jeu de hasard. Qui a la couleur d’un jeu de hasard. Qui comporte bien une pièce à deux faces. Mais où le résultat annoncé est à 100% toujours le même. Et je me suis dit : « et si déjà, le jeu de tir était le même genre de blague, mais en plus élaborée ?« . Un jeu de tir qui ressemble à un jeu de tir. Qui a les ingrédients formels du jeu de tir. Et qui finalement, vous permet de tirer, et tuer, puis tirer, et tuer, des centaines de fois, un ennemi dont le cadavre disparaît. Un ennemi similaire, qui a été tué des centaines de fois, et qui malgré ça, n’est jamais mort.

Au fond, ce jeu véhicule un message fort, par tous les bouts où on le prend.

Il faut dire que le scénario me semblait déjà mystérieux, et bourré de questions sans réponses, qui restent en suspension dans la narration, qui impose d’avancer sans tout comprendre correctement ni parfaitement, et d’avancer quand même, pour découvrir une info, qui répondra à une question, mais de façon insatisfaisante de toutes façons. Car de mystérieux, le scénario devient complexe, et au sein de cette complexité il en devient assez fécond en définitive. C’est à dire que, Bioshock Infinite, c’est un jeu qui en tant que jeu de tir est si absurde, qu’il n’est franchement pas re-jouable pour deux sous. Par contre, le « scénario » que Bioshock Infinite offre, est comme le scénario d’un film culte, exemple récent, « Inception », ou par exemple, ou comme « Matrix ». Ce genre de scénario, est truffé de signes dénués de sens immédiat, et contient plusieurs niveaux de re-lecture, lesquels suscitent donc un re-visionnage. En intégrant dans le re-visionnage, une logique de failles vers des univers alternatifs, ce scénario à signes, a démultiplié la réverbération des interprétations qu’il peut à la base susciter…

Et, là, je me suis dit : « ah ouais d’accord« , donc « je vais y rejouer« , mais « autrement », d’abord, « en mode facile », avec les détails à fond, en expédiant les combats en deux minutes et en le regardant comme un film. J’ai donc rejoué à Bioshock Infinite, en faisant très attention cette fois-ci, aux éléments narratifs, à l’ambiance, aux petits détails, aux dialogues, à la bande son, à l’histoire, à la contemplation du ciel bleu, à l’eau, aux références symboliques, et à ces putains de Voxophones.

C’est d’ailleurs ce qui est le plus surprenant, dans ce type de scénario, c’est qu’il est pourtant truffé d’une vertigineuse variété de thèmes, sociologiques, politiques, psychologiques, scientifiques, artistiques, et, malgré la réalité d’une copie hyper-dense, où vous pourriez vous paumer et vous noyer à pic, il vous donnerait presque l’impression étonnante qu’une cohérence globale forte affleure, et ne demande qu’à être touchée du doigt.

Moralité, en changeant le statut du jeu, de FPS, « first person shooter« , à FPS « first person story« , on est plus proches du vrai concept qui l’habite soit, une histoire en 3d animée, racontée à la première personne.

Obsession artistique

Il est coutume de lire, dans les tests qui ont été faits sur Bioshock Infinite, qu’au niveau du background scénaristique, beaucoup de choses sont très souvent abordées.
Par exemple, le fanatisme religieux, le sectarisme, la société de classes, le racisme, l’esclavage économique, le lavage de cerveau, le pouvoir totalitaire, l’usage de la science à des fins de contrôle des masses, l’inégalité, la guerre, l’injustice, l’instrumentalisation de l’homme par l’homme, la cupidité, l’individualisme, l’absolutisme, la science sans conscience, mais aussi, l’amour filial, la transmission consciente et inconsciente, l’héritage, la mémoire, la culpabilité, la réparation, la temporalité, la répétition, la variation, l’utopie, la liberté, la vanité… et à vrai dire… un paquet de choses est abordé. Et c’est l’histoire, le récit, qui réussit le tour de force d’embrasser tout cela, dans une trame qui est à peu près intelligible.

Ensuite, ce n’est pas faux de dire que le jeu aborde ses propres sujets, au sens où il ne les traite pas, de façon très intellectuelle ; l’abord est visuel, factuel, strictement narratif et subjectif. Ces sujets ne sont donc pas vraiment considérés comme sources d’intellectualisation immédiate, mais plutôt, comme éléments de l’équation formée par une histoire laquelle se comprend souvent sur le tard voire rétroactivement.

Et l’on peut effectivement louer grandement Bioshock Infinite pour l’aspect multi-dimensionnel de sa « narration allusive » qui, à l’occasion de certains moments de cristallisation, trouve rétroactivement des lignes de force inespérées pour sa propre compréhension. C’est à dire que si le héros Booker DeWitt, parle – chose notable  -, le dialogue direct n’éclaire rien d’autre que l’incompréhension de ce même héros. Lequel est somme toute, partiellement amnésique. Et ce n’est donc pas à travers les dialogues qu’on va pouvoir immédiatement comprendre et apprécier l’histoire de Bioshock Infinite. C’est à travers la convergence des dialogues, des écoutes de Voxophones, et de l’observation des « signes » laissés sur la trajectoire, de la résolution des charades quantiques des double physiciens Rosalind et Robert, des clins d’œil laissés ici ou là, et de la patience d’attendre jusqu’à la fin du jeu, qu’on va arriver à une explication plus globale, un brin saisissante, sur l’histoire qui est contée.

Alors l’histoire qui est contée, pour résumer, n’est pas dotée d’un happy end, parce qu’elle n’a pas et ne peut pas, avoir de fin c’est là d’ailleurs tout son drame.

C’est l’histoire au fond des hommes qui bien que n’étant pas libres, souhaitent refaire leur vie et entreprennent des changements. Mais, ils ne parviennent à changer que sur quelques aspects formels et cosmétiques de leur parcours. Car au bout du compte, ils restent profondément égaux à eux-mêmes. Et logiquement, ils répètent, directement ou indirectement, ils se répètent, ils se reproduisent. Voilà.

On peut le dire, du moins le rappeler, que Bioshock est la franchise qui nous parle le plus de cette idée qui est celle de « pouvoir enfin refaire sa vie », et d’une façon assez cynique, assez critique.  Toute la franchise Bioshock, transmet de façon obsédante, l’idée assez pessimiste, que les Hommes oublient qu’ils ne sont pas libres, encore moins libres de changer, et qu’ils errent dans un monde totalement déterministe, jusqu’à ce qu’un événement vienne leur rafraichir la mémoire.

En fait, Bioshock Infinite, c’est une histoire sans fin, au sens où, ce n’est pas une histoire qui évolue, mais une histoire qui se lance avec la prétention de changer, mais qui au final, est un peu toujours la même. Une histoire, qui quelque part, tout le temps, quoi qu’on fasse, quoi qu’il se passe, quoi qu’on veuille, où qu’on soit, et quoi qu’on en dise, s’est produit, se produit, et à quelque minuscule nuance près, se reproduira.

Voilà, donc en résumé, les hommes ne sont pas libres, ils l’ont oublié par amnésie, c’est pour ça d’ailleurs que l’oubli est la seule source de liberté mais une source « illusoire » donc à durée déterminée. Et la moindre exigence de vérité fera que cette illusion sera tôt ou tard dissipée.

Et donc toute utopie, qu’elle soit individualiste, collectiviste, élitiste, religieuse… est promise au même sort, que de chuter de haut, dans la mesure où au fond, la puissance de la répétition qui habite les hommes et le monde même, implique qu’ils ne peuvent modifier au sein de leurs vies que des paramètres assez secondaires.

Changer de lieu, déménager, c’est possible, mais ça n’a jamais marché assez pour susciter un véritable changement « en soi ». S’isoler des autres, c’est possible, mais ça n’a jamais assez marché pour se prémunir de la source de la répétition qui vient non pas seulement des autres, mais aussi, de soi-même.

Bioshock premier opus, avait introduit le problème, magistralement, à travers un monde extrêmement « stylé », steam-punk et art-déco à la fois. Il a introduit Rapture, une cité sous marine secrète vouée à glorifier l’individualisme ultime de ses habitants, désireux d’évoluer eux-mêmes, au delà des limites de l’éthique.

Rapture, cité sous-marine

Visuellement, Rapture se démarque par une simulation particulièrement réaliste des fluides en temps réel. L’eau, omniprésente, forme un piège et les grandes baies vitrées de Rapture, donnant sur les fonds marins, ne diminuent pas l’aspect lugubre et l’effet claustro-phobique des lieux.

L’eau y est un symbole, celui de la « noyade » d’un système dont tous les éléments structurels nécessaires agissent pour leur seul compte, sans jamais se soucier d’un cap global cohérent et bénéfique pour le plus grand nombre. Il n’y a qu’à contempler le résultat de cette utopie individualiste forcenée (une société obsédée par l’amélioration de soi, qui chute dans la folie, la guerre et la démence complète), pour se faire une idée de ce que pensent les auteurs de cette initiative.

La version n°2 du jeu Bioshock, était toujours située dans la ville de Rapture, qui cette fois-ci, croyant avoir compris, se vouait à une idéologie « collectiviste ». Même illusion. Même destin. Globalement et à deux détails près: même conclusion.

Alors en ce qui concerne les valeurs portées par les utopies de Bioshock en général, la narration les intègre toujours sur le mode de la « propagande ».

C’est à dire que même la formulation de l’idée de se libérer d’un système contraignant et sans distinction, est communiquée aux hommes sur le mode du bourrage de crâne, contraignant et sans distinction. On ne peut pas mieux percevoir l’échec de l’utopie en général, qu’en suivant la trajectoire de Jack, le héros de Rapture, qui erre dans des lieux complètement malsains, tout en écoutant en fond sonore une propagande qui tourne en boucle, et qui rappelle toutes les jolies valeurs humaines profondes que la cité doit glorifier.

Finalement, la pensée utopique n’est qu’une soupe mentale pour ses habitants, lavés du cerveau, qui sert des intérêts exclusifs de quelques uns voire d’une seule personne dont la volonté est un impératif catégorique. Et les maîtres de ces cités n’en sont finalement que des gourous, qui agitent le spectre formé par un monde extérieur menaçant qui imposent le culte de leur personnalité, leur dictature, dans une cité coupée du monde, entièrement vouée à satisfaire une auto-propagande qui tourne à vide.

Le rôle de la propagande, est clairement, de placer les habitants dans un état de sidération psychologique qui ne leur permet pas de « prendre conscience », ou de laisser simplement leur exigence de vérité émerger normalement et se souvenir d’où ils viennent, et surtout, d’où vient le problème.

Et que penser de Columbia, qui ici, se substitue à Rapture?

Alors,  si sur la forme, c’est un peu moins sombre, et un peu moins glauque, sur le fond, c’est exactement la même soupe. Quand on y pose le pied, on y est dominé, écrasé sur le champ, par la présence de ces statues gigantesques, dignes des plus grandes dictatures du siècle dernier.  Et l’harmonie qui semble premièrement régner sur ses trottoirs proprets, est presque angoissante : car quelque chose cloche, dans cette succession surréaliste de plans extatiques, où contemplatif, l’habitant qui s’y promène ne manifeste aucun espèce de sens critique. L’habitant, est un homme prosterné dans l’extase permanente de sa propre dévotion et de sa propre gratitude vis à vis de son gourou providentiel, son prophète doué de la capacité de lire l’avenir, qui a vu l’apocalypse s’abattre sur le monde d’en bas, donc, pas forcément sur la tête des résidents du monde d’en haut. Alors l’habitant est donc l’heureux résident d’une utopie historique teintée de religion, qui se prépare à la fin d’une civilisation.

Mais de quoi est composée cette arche céleste, cette citée d’élus ? La classe favorisée est blanche, anglo-saxonne, protestante, aisée, aux appartements luxueux, laquelle exerce une soumission sur une « classe ouvrière » pauvre et composée d’immigrés, d’ex-condamnés à la prison déportés sur Columbia, exploités, et tenus à l’écart des lieux publics dans des usines, des taudis, et des circuits de production intensifs.

La guerre contre l’esclavage a bien eu lieu aux États Unis, mais après tout, gagnée ou pas, c’est toujours aux immigrés et aux hommes de couleur, noirs ou jaunes, irlandais, ou chinois, à qui il reviendra d’effectuer dans l’ombre, au fond à gauche, toutes les « basses besognes ».

Au fond, Columbia c’est une ville qui affirme avoir trouvé le moyen d’échapper au destin de l’auto-destruction qui attend la civilisation de 1912, en se coupant de toute relation avec elle et en se laissant guider par les prophéties de son prophète. Celle civilisation inférieure, c’est celle qui va vivre la succession des guerres, crises économiques, crises spirituelles, qui composent sa propre apocalypse.

Mais est-ce encore une fois parce qu’on déplace les hommes au delà des nuages, et qu’on leur parle de leur salvation, qu’ils en sont différents et immunisés contre leur nature profonde ? Par exemple, le travail des ouvriers de Columbia, confine à l’exploitation esclavagiste pure et dure, bien loin des trottoirs publics proprets.  Et à la moindre opportunité, ces exploités et opprimés économiques et sociaux, s’affirment dans des renversements révolutionnaires d’une violence inouïe, et en fait, les leaders de leurs révoltes deviennent même vite de nouveaux tyrans en puissance, sans scrupules, pas plus souples que les précédents.

Un point commun entre Rapture et Columbia : elles sont des cités utopiques où chaque intérêt, économique, religieux, social, politique, scientifique, s’affirme dans la domination ou l’élimination directe de l’autre, au delà de toute éthique, ou respect d’autrui. Et, quelque-soit le choix « architectural », « idéologique »,ou « topique », ces cités sont ramenées à cette même radicalité, à cette absence de modération, où les intérêts de chacun s’expriment comme impératifs catégoriques, jusqu’au crime, jusqu’au renversement et à la subversion totale de l’autre ; et au sein de cette radicalité, la violence s’exprime brutalement, éclabousse et dissout toute légitimité morale de l’idéologie en cours.

Les changements de pouvoir, dans ce cadre, ne sont que des prétextes à la reproduction d’un nouveau modèle de domination. Les membres de ces sociétés sectaires, ont beau parler de « changement », de « nouvelle ère », de « libération », de « salvation »: ils sont identiques à ceux qu’ils dénoncent et remplacent.

Columbia est bien élégante dans ses nuages, mais, sous sa façade stylisée et raffinée, elle est aussi frustre, raciste, inégalitaire, peureuse du lendemain, et enfin, violente jusqu’au crime de masse, que le monde civilisé d’en bas, sobrement qualifié de « sodome inférieure » voué à « l’extermination divine ». Et Comstock, sous le couvert de passer pour « l’incarnation visionnaire du salut », se révèle plutôt l’exploitant cynique de la peur du lendemain, peur qu’il s’évertue finalement lui-même à essayer d’exploiter, en l’entretenant chez les autres, tout en sachant, pour lui-même, que ce qui produirait l’apocalypse sur le monde d’en bas, ne serait pas tant l’intervention divine, qu’un bombardement en règle venant d’au delà des nuages.

Alors, si Columbia est une version alternative de Rapture, c’est peut-être aussi, parce que les auteurs du scénario de Bioshock Infinite finalement, sont poursuivis par des obsessions artistiques qui transpirent un peu de la même façon quelque soient les œuvres. L’obsession artistique, c’est ce qui, lorsque vous essayez en partant d’une page blanche, de pondre un truc vraiment nouveau, fait que, au delà des efforts que vous faites, vous mènera à raconter la même histoire.

Et, faisant retour sur lui-même en tant qu’expérience vidéo-ludique, Bioshock Infinite n’est pas sans ignorer qu’il se répète par rapport aux opus précédents. L’expérience vidéo-ludique, à force de se répéter, finit quelque part par développer un « flash de conscience », au cours du développement, qui permet aux auteurs d’intégrer au scénario une espèce de « mise en abîme » du jeu, à travers un message caché, adressé au joueur, sur sa façon de consommer un produit formaté, qui « se ressemble », et qui est au fond invariablement quasiment le même. La prétention à accoucher d’un « nouveau Bioshock » échoue dans l’inévitable apparition du plus probable, c’est à dire, d’une sorte de pareil au même.

Car au fond, les grands moments scénaristiques sont amenés peut-être différemment par rapport à l’opus précédent, et au niveau de la réalisation, Infinite a parfois des moments de grâce en particulier lors de la scène de la levée de l’amnésie du héros, Booker DeWitt, qui se rappelle son histoire. Mais au fond, les ficelles dramatiques sont toujours un peu les mêmes. C’est à dire qu’on a toujours à un moment donné la phase « je suis ton père« . Alors la phase « je suis ton père », dans la cité sous-marine, on y a déjà eu droit entre Andrew et Jack. Dans une cité aérienne, ça se formule à l’envers, on a une phase « je suis ta fille », entre Elizabeth et Booker, ce qui rafraichit la mémoire du héros, et qui le réintroduit dans la conscience de qui il est, à savoir un homme non pas qui donne lieu au changement, mais qui se reproduit.

L’apport de Bioschok Infinite à la franchise

Alors quel est finalement l’apport de Bioshock Infinite, par rapport à tout ce que la franchise a déjà apporté antérieurement ?

Sur le plan du gameplay, on croit à tort qu’il s’agit des rails aériens.  On s’imagine qu’ils vont être disposés de façon telle qu’ils permettront de parcourir Columbia de part en part et assez rapidement. On imaginait utiliser ces rails pour accéder librement aux zones déjà explorées. Malheureusement, c’est une fausse piste. Les rails sont même le petit gâchis de ce titre qui – par eux – pouvait être simplement beaucoup moins linéaire, beaucoup plus vertigineux et source de tension, comme on l’a dit plus haut. Or, ces rails se font trop rares et ne couvrent pas de part en part tout l’espace de Columbia. C’est donc ailleurs qu’il faut chercher l’apport le plus significatif.

Sur le plan narratif et le plan du gameplay, l’apport le plus évident et le plus réussi, c’est celui d’Elizabeth, votre petite compagnie dirigée par une intelligence artificielle.

Et si vous devez vous procurer le jeu pour quelque chose, vous devez vous le procurer rien que pour ce personnage : exceptionnel, car la qualité de son jeu expressif et l’extrême richesse de son doublage vous font découvrir une série d’émotions uniques, inattendues. Sa capacité de cristalliser quelque chose d’humain en vous, c’est la véritable « claque » de ce titre. Elizabeth est simplement, une énorme réussite : ce personnage est vivant, très expressif, très… attachant. Il n’y a pas d’autre mot. On se découvre une espèce d’inquiétude à savoir où il est passé, ce qu’il fait, où il s’est planqué. Et Elizabeth joue parfaitement le juste rôle quand il faut, où il faut :

  • à la fois donc apport narratif et émotionnel lors de l’avancée de l’intrigue
  • lors des phases de combat, rôle de backup médical et de support logistique, voire de distribution de fioles de toniques
  • lors de phases de looting, de backup économique en vous jetant ici où là une petite pièce pour refaire votre portefeuille
  • coincé derrière une porte ? un coffre qui vous résiste ?  pas de panique, elle est experte en crochetage, filez-lui un crochet elle se charge du reste

En fait, je disais qu’elle suit le héros, mais non, c’est très souvent, le héros qui la suit, qui essaie de la rattraper, qui la cherche, qui s’inquiète, c’est le héros qui souvent, en est réduit entre deux révélations, à être l’intelligence artificielle au service d’Elizabeth, le véritable personnage central. Cependant cette inquiétude est limitée : car Elizabeth est si intelligente qu’elle se planque particulièrement bien dans le feu de l’action ; ses vêtements peuvent se salir, elle ne prend aucune balle, même perdue. Elle aussi, ne peut pas mourir.

Et ce personnage n’est pas seulement attachant, il est intéressant, car porteur d’un pouvoir faisant lui-même référence à la théorie d’Everett dite des réalités alternatives et étayé par la mécanique quantique : où certains événements probables se réalisent dans une réalité, qui ne se réalisent pas dans une autre. Les réalités alternatives ne s’excluent pas mutuellement, elles existent, mais théoriquement « en parallèle » sur le même cours du temps, et sans jamais s’interpénétrer. Or Elizabeth a le pouvoir de visualiser et de voyager entre les réalités possibles, de façon transversale. Le résultat est encore plus puissant que tout le reste des plasmides et des toniques réunis : celui d’ouvrir des failles vers des « réalités alternatives », et de faire coexister certains éléments issus de ces réalités dans la réalité présente, ou carrément, de se projeter dans une alternative et de refermer à tout jamais la faille derrière elle.

Mais tout d’un coup, en considérant ce pouvoir et cette théorie, on s’aperçoit qu’il vient en son fond percuter et questionner l’obsession artistique des auteurs, sur la « liberté individuelle » et la « possibilité de changer ».

Voyage au delà de la multi-réalité

Qu’est-ce que la théorie des réalités alternatives ?

Alors, sans rentrer dans le détail des calculs qui étayent la description quantique du monde, et pour résumer en vulgarisant, disons que l’univers véritable contient tous les mondes possibles et non pas seulement le monde qu’il nous est donné d’observer. Il faut voir le monde qu’il nous est donné d’observer non pas comme la seule et meilleure expression possible de l’énergie dans tous l’univers à l’exclusion des autres, mais comme une seule trajectoire historique possible, parmi une infinité de trajectoires divergentes, tout autant probables et alternatives, qui se déroulent par ailleurs aussi en parallèle.

Pour se représenter la progression de notre univers véritable en tant que « totalité ultime », sur le plan temporel, disons qu’elle se comporte comme une branche « souche » sur laquelle les réalités alternatives tout autant probables, seraient comme des « sous-branches ». Et il faut donc acter que, ces sous-branches, ne peuvent donc pousser que sur une souche commune. Ce qui veut donc dire que, les réalités alternatives ne peuvent pas être des réalités qui suivent des vecteurs complètement contraires à la réalité « souche » sur laquelle elles s’appuient. Elles ont en fait, un gros point commun qui est de partager la plus grosse probabilité, tout en divergeant sur des petites différences ou des nuances.

Pour illustrer, imaginez que vous vous rendez dans un lieu spécialisé dans la restauration rapide, et qu’on vous donne pour le même prix le choix. Le choix entre un hamburger au poulet et un hamburger au jambon.  Si vous, depuis votre point de vue, vous optez pour le hamburger au poulet, l’univers véritable n’abandonne aucune possibilité, et développe dans une dimension parallèle, une autre version de vous qui choisit le hamburger au jambon. La souche : c’est la restauration rapide, les branches, les repas « alternatifs ». Mais chaque branche une fois concrétisée devient nouvelle souche à son tour pour des sous-branches. Par exemple, vous mangez le hamburger au poulet accompagné d’une sauce aigre douce, d’un côté, ou un hamburger au poulet accompagné de ketchup de l’autre. Si vous assaisonnez votre poulet à la sauce aigre douce, vous serez convaincu que la seule réalité historique aura été la consommation de votre hamburger au poulet à la sauce aigre douce. Tandis que, dans une réalité parallèle, une autre version de vous, conclut que la seule réalité historique est celle où vous consommez un hamburger au jambon assaisonné de ketchup.

Et c’est important de le comprendre : n’imaginez pas à partir de la souche « restauration rapide » pouvoir trouver en alternative aux frites, par exemple, du caviar ; n’imaginez pas trouver, en alternative au coca cola, du champagne. Bah non. Car le « prix », le cout énergétique, n’est pas le même. Et la souche de base, est une constante, celle de la restauration rapide adaptée aux petits budgets. Le caviar est un « aliment de luxe »,  inadapté au marché de la restauration rapide.Il aurait été plus probable de trouver cette alternative à partir d’une souche beaucoup plus lointaine, plus distante, plus en amont, dans un type de restaurant lointain, offrant une forte probabilité d’offrir du caviar. D’ailleurs, l’accès à ce type de restaurant est déterminé par les ressources économiques adaptées, qui renvoient donc à des parcours temporels très peu comparables. Donc c’est sur la souche « hauts revenus » que vous allez pouvoir trouver en sous branche, section alimentation, des probabilités alternatives quant à la restauration de luxe.

La physique quantique construit sa description du monde macroscopique, au monde microscopique, comme l’effet d’un arbre de probabilités super-structuré d’une part, et multi-dimensionnel d’autre part. Sur le plan longitudinal, l’axe temporel n’est qu’un chemin d’accès parmi une infinité d’autres chemins lesquels sont empilés comme un mille-feuille sur le plan transversal.

Si l’on considère le schéma ci-dessus, on en déduit que les trames historiques les plus différentiées sont celles qui partent des souches les plus éloignées tandis que les trames historiques les plus proches partagent ici où là des événements similaires.

La meilleure preuve que le monde qui nous est donné à observé a divergé sur les bords, c’est l’observation d’une même ligne temporelle, du macrocosme au microcosme, soit l’univers visible, qui suit une expression assez constante dans les grandes largeurs, et qui cependant, exprime de petites nuances aux entournures.

Par exemple, l’univers est bien composé de milliards de galaxies. Ces galaxies sont composées de milliards de systèmes solaires. Les systèmes solaires sont composés de planètes, avec parfois leurs satellites. Et de loin, les satellites, les planètes, les soleils, les galaxies, tout ça s’identifie assez fortement. Mais pourtant, dans le détail, une planète ne ressemble pas exactement à une autre, car tout au long du parcours où s’exprime la loi de la gravitation, des nuances sous forme de traces de divergences, se sont exprimées et auront produit un monde un peu varié, dont la forme est familière dans les grandes largeurs, et en même temps, plus diverse dans des proportions plus petites. Et la petite variance qui accompagne la chute du macrocosme au microcosme, est la trace laissée par un « petit degré de liberté », où s’est manifesté « une » probabilité. Mais plus loin dans d’autres trames temporelles, il existe d’autres univers, similaires, où sur une ligne temporelle à la trajectoire différente, les choses se sont manifestés selon une autre probabilité.

similaire et varié à la fois

Cette petite variance est lourde de conséquence. Il est impossible de trouver dans tout le macrocosme, une seule planète exactement semblable à la Terre, à l’atome près. Pourtant, on cherche toujours une planète « jumelle » à la Terre et, on découvre des très belles approximations, mais, jamais quelque chose de parfaitement équivalent. Comme il est impossible de trouver exactement à l’atome près des galaxies parfaitement identiques. Et des systèmes solaires, parfaitement identiques. Il y a des systèmes planétaires très similaires dans leur fonctionnement, en orbite autour d’un soleil. Mais sur ce plan, s’expriment toujours des variables : taille, masse, atmosphère, composantes, type de noyau, magnétisme, température, distance, qui ne remettent pas en cause les règles et probabilités fortes plus générales, mais qui autorisent une distribution des possibles assez variée.

Certains diront donc que réalité du macrocosme, c’est que dans l’interaction de ses lois intimes les plus déterminantes, un « jeu », un degré de liberté s’est exprimé aux entournures sous la forme de petites potentialités, s’exprimant en plus petites alternatives, sans que ces alternatives ne puissent changer grand chose à la grande base forte sur laquelle elles s’appuient. Et ces « petites » alternatives ont elles-mêmes de quoi, dans la petitesse qui les compose, se spécifier d’avantage à l’avenir du reste.

Vu que l’aube des temps ne date pas d’hier, on suppose donc que les toutes premières souches ont produit des infinités de branches, dont certaines bien lointaines, servent ensuite elles-mêmes de futures bases, à l’infini. Et donc les « univers parallèles » existeraient déjà à l’infini depuis longue date, en parallèle les uns aux autres, et se spécialiserait infiniment dans toutes les directions suivant des arbres probabilistes de plus en plus fins. Et, si on avait la capacité omnisciente de tous les observer évoluer, côte à côte, et de les comparer les uns aux autres, alors il serait probable de trouver, entre les évolutions, des différences inter-universelles, de plus en plus importantes en fonction de l’écart des vecteurs de divergences depuis l’origine.

D’ailleurs puisqu’on parle d’omniscience, disons que le « pouvoir final », le pouvoir ultime, d’Elizabeth, est bien celui-là : d’ouvrir une faille qui lui permet d’accéder à la transversalité des lignes temporelles. Elle se représente dans le jeu comme une « matrice » composée de phares où chaque porte donne sur un temps où deux branches se sont formées. Au sein de cette matrice, s’offrent à elle directement, la super-vision des réalités alternatives possibles présentes et passées. Elle a à disposition toutes les souches et toutes les branches en même temps, d’une part, et d’autre part elle peut donc se diriger dans cette « matrice » et ouvrir une porte où revivre un événement situé dans le cours du temps.

Elle peut donc, directement choisir la version de la réalité qui l’intéresse, au moment précis qui l’intéresse. Elle aurait donc la capacité de « libérer » qui elle veut d’une « décision fatale », par exemple. Et donc, ce pouvoir incroyable, fait qu’a donc peut-être enfin, la capacité de changer quelque chose (!), de refaire la vie de Booker DeWitt. Elle incarne de par ce pouvoir, l’espoir dans tout l’univers de Bioshock.

Par exemple, Booker DeWitt a participé au massacre de Wounded Knee. Traumatisé par la guerre, DeWitt erre en trainant son mal-être.

La source du mal de vivre de Booker

On lui offre l’absolution à travers une cérémonie où, se faisant baptiser dans un cours d’eau, il se repent et acceptant d’être lavé de ses fautes. Il renait pardonné, dans la grâce de Dieu. Se faisant, il renie son passé, sa nature violente, et donc, rentre dans un processus d’oubli de lui-même. (Et on a vu à quel point, à la source de l’utopie, on s’oublie en profondeur). En s’oubliant, DeWitt change carrément de nom. Il se fera appeler Comstock. Et deviendra le leader religieux, et criminel, qu’on connaît.

Dans une autre réalité divergente, DeWitt n’a pas accepté ce baptême. Il s’est dégagé des bras du prêtre avant même de recevoir le pardon pour ses fautes. La suite de son existence sera différente, pas forcément très glorieuse non plus, il continuera à être un homme de main, aux méthodes violentes, puis sombrera dans l’alcool et le jeu, au point de ne pouvoir payer ses dettes auprès de gens dangereux et peu recommandables… Au moins aura-t-il eu une descendance dans cette réalité alternative.

Donc, sachant cela, Elizabeth, expérimentant son nouveau pouvoir, se décide à éliminer toute potentialité d’apparition de Comstock, et pour ce faire, cherche de façon récursive sur le plan transversal et historique, elle remonte à la souche où deux alternatives existent, une avec le baptême,  l’autre sans baptême. Et simplement, elle, ainsi que toutes ses versions alternatives arrivant à la même conclusion qu’elle,  se débarrasse de Comstock, en noyant DeWitt dans cette rivière, avant même qu’il n’ait eu à choisir entre sa vie en tant que DeWitt (laquelle n’est pas brillante non plus si on regarde de près m’enfin bon), et sa vie en tant que Comstock, lavé de ses fautes (quand on voir le résultat du lavage on se dit qu’il aurait mieux valu changer la méthode de nettoyage enfin bon).

Alors on peut carrément s’interroger sur cette façon qu’à Elizabeth d’essayer de « libérer DeWitt ». Parce que, si l’on suit vraiment la logique de la théorie : pourquoi a-t-il fallu tuer DeWitt ? Si le problème est sa culpabilité d’avoir massacré complaisamment des gens à Wounded Knee : n’aurait-il pas mieux valu tout simplement remonter le temps avant Wounded Knee, en lui tirant une balle dans pied ? Blessé il ne peut monter à cheval. Ni même marcher. Ni se battre. Bref : il rentre au bercail et ne se salit pas les mains dans les horreurs de la guerre. Donc pas de massacre, pas de culpabilité, pas de rivière, pas de baptême, pas de Comstock. Et en plus, il est en vie. Et il peut même procréer… Sans remors il mène une vie plus saine. Donc cette dernière scène où, Elizabeth finalement « noie » son père, tout en annulant rétroactivement la possibilité de sa propre existence de fille, prouve une simple chose.

Ça veut simplement dire qu’Elizabeth fait déjà partie d’un pan entier d’univers qui, n’a pour solution à tous ses problèmes que de tuer. Et que cette solution, forme une super-souche qui conditionne toutes les branches et sous-branches. Et Elizabeth, n’a peut-être pas pris tout le temps nécessaire dans son examen récursif des souches et des branches.

On va dire encore une fois, que l’univers de Bioshock est voulu, comme une bonne blague, pessimiste et déterministe. Car, même doté d’un pouvoir qui nous a semblé quasi divin sur le coup, Elizabeth est l’enfant d’un univers qui adopte toujours la même solution : tuer et se tuer.

Pour compliquer l’affaire, le tout dernier plan qui suit les crédits, prouve que DeWitt serait quand même en vie « quelque part ». Alors quelque part où ? Dans un reliquat de souche hyper-lointaine et hyper-alternative qu’Elizabeth n’aurait pas eu le temps de remonter ou même voir ? Car on le le voit en effet, chez lui, pousser la porte de la chambre de sa fille, et avancer vers son berceau.

Pourtant, Elizabeth qui avait bien mis un terme à la vie de Booker à la source – en annulant d’ailleurs dans la foulée sa propre existence dans l’opération, comme celle de toutes les sous-versions de Comstock et donc des sous-versions d’Elizabeth apparentées.

Ou alors, aurait-elle eu juste accès à une sous-matrice, et pas « la » matrice des matrices ? Celle à partir de laquelle elle aurait « vu » qu’il lui était possible de « ne pas tuer », mais par exemple, « juste blesser », pour obtenir un autre résultat acceptable ?

Il est tout aussi possible, que cette dernière scène post-générique de fin, jetée en travers du cerveau des joueurs,  afin – officiellement – de les faire cogiter plus, soit probablement – et officieusement – un piètre rebond des scénaristes, à qui l’on a expliqué qu’il faudrait rentabiliser plus le jeu en créant des DLCs, lesquels, logiquement devraient reprendre les personnages de Booker et d’Elizabeth : qui alors donc ont soudainement quand même existé quelque part ailleurs…

En tout cas, quoi qu’il en soit, cet apport scientifique dans la fiction de Bioshock, est un apport ultra-pertinent, qui reprend de façon très saisissante la question de l’utopie posée dès le commencement de la franchise.

L’utopie n’est pas « un monde différent », bien qu’il se proclame à l’origine, fièrement comme tel. L’utopie n’est qu’une « alternative », du monde actuel, au sens « quantique » du terme. Alternative où les logiques du monde actuel s’y expriment finalement de façon quasi similaire. Les quelques variables qui émaillent la forme de l’utopie, ne jouent qu’à un niveau cosmétique et pas structurel ; les constantes fondamentales, elles, restent là.

En quoi Rapture et  Columbia échouent ? Elles échouent parce que leur fondement n’est pas architectural, mais humain. Leur fondement c’est de prétendre précisément qu’elles sont en mesure de « mieux faire » humainement parlant, de faire de façon radicalement différente, que le reste du monde dont elles s’isolent. Et en réalité, peu importe le lieu où elles sont bâties, ces utopies sont faites des mêmes hommes qui eux, on pu modifier le décorum, on pu s’abreuver de paroles, s’abrutir de propagande, s’oublier, mais dans leur fond n’ont pas varié des masses.

Déplacez un être cupide, sanguinaire, égoïste, ou avide de pouvoir, au fond des océans, ou par delà les nuages : ces nouveaux lieux ne lui donnent pas d’autre occasion que celle de rester copieusement lui-même, et ce dans un cadre en tout point exotique.

Les grandes sources de répétitions sont nos plus profondes croyances, issus de fantasmes, mais aussi de logiques fortement implantées, celles du profit, par exemple, de la quête des satisfactions  sexuelles, de la quête d’une position sociale, et au top du top des constantes les plus probables : la « permanence de soi « ,  » au détriment des autres  » ; et ces logiques très animales, instinctives, forment des déterminismes puissants, et au sein de ces déterminismes, le jeu possible n’aboutit pas au déferlement des nouveautés, mais au mieux, à une sorte de relifting.

Mise en abîme

Comme on l’a vu, le « jeu » et donc la jouabilité, est totalement subvertie par le message du jeu qui est heureusement, toujours très intéressant, dans la mesure où il s’étaye sur une nouvelle base théorique et permet même quelque part, de ressaisir le scénario des précédents opus en les intégrant complètement dans une nouvelle vision multidimensionnelle.

Cette subversion du jeu est l’effet d’une mise en abîme du style vidéo-ludique, à travers des clins d’œils qui émaillent le parcours du héros dans l’histoire. La décision d’abandonner le système de « choix moral » pourtant bien présent dans Rapture (sauver ou pas les petites sœurs), vient directement en écho à la volonté obsédante des concepteurs, de véhiculer une sorte de négation de la notion de liberté qui prend le parti de s’exprimer jusque dans les mécaniques qui normalement, font l’efficacité de l’expérience vidéo-ludique, et qui poussent donc à vivre celle-ci au second degré.

Car les mondes de Bioshock Infinite, sont des mondes hyper-scriptés qui imposent une lecture presque paranoïaque des événements, où tout fait sens, où le discours des auteurs est un impératif, qui explique que la liberté de choix est une illusion futile. Bioshock Infinite reprend, approfondit, et répercute à l’infini la musique des paroles d’Andrew Ryan : « un homme choisit, alors que l’esclave, obéit », elles mêmes sanctifiées dans un parricide programmé.

Que cela soit dit, Bioshock Infinite a d’énormes mérites, dont celui d’être ultra-conscient de sa nature répétitive, et de ses défauts, à un niveau qui force le respect. Cette ultra-conscience, qui se traduit dans la référence théorique et certains clins d’œils, sauve artistiquement cette expérience vidéo-ludique laquelle, en avouant ses fautes, est à demi pardonnée.

Je la conseille, bien entendu, pour la qualité magistrale de la réalisation de certaines scènes même si elles sont scriptées à 100%, pour le travail de doublage monumental, et tout le travail de recherche graphique, et de documentation, pour tout le travail de modélisation de Columbia. Un jeu à la narration si étudiée et à la patte graphique si impeccable, ne mérite certainement pas l’indifférence. Je conseille Bioshock Infinite pour la justesse du personnage d’Elizabeth, attachante et néanmoins qui garde toujours la bonne distance.

Cependant, bien qu’il marque un tournant historique au niveau de la qualité et la profondeur de sa narration, tout comme la qualité de la réalisation des scènes explicatives finales, la place et le temps que prend le « jeu de tir » au sein de cet opus sont énormes. Et vu la place prise par le jeu de tir, il convenait d’en rehausser nettement la qualité proprement ludique.

Donc Bioshock Infinite est un excellent « first person story« , graphiquement, bien au dessus de l’ensemble, doté d’une vraie histoire, d’une héroïne inoubliable, qui a le mérite de susciter l’émotion, et, volontairement ou non, ensuite la réflexion. Simplement ce jeu déclenche une évidente « petite déception ». Il pouvait être formidable, sur absolument tous les plans, et je dirais, presque « culte », vu le niveau technique, le temps, et les moyens dont il a bénéficié pour sa mise en œuvre. Et s’il reste très bon, il rate ce statut inespéré, en traitant toute la partie « jeu de tir » d’une façon nettement moins bonne.

Maxime

Post Scriptum : et en bonus, la vidéo d’Alt 236, sur Bioshock, comme œuvre Deco-Punk qui fonde sa propre « Mythologie ».